Nuit obscure

Ce film est le dernier pan d’un triptyque de dix heures, composé de Nuit obscure – Feuillets sauvages (Les Brûlants, Les Obstinés) (2022) et Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où (2024), sortis simultanément. Il s’attache en noir et blanc à des SDF qui traînent dans les rues de Paris et que notre mauvaise conscience nous a appris à ignorer pour ne pas avoir à leur venir en aide. Sylvain George a pris tous les risques afin de leur rendre un semblant d’humanité.
L’usage du noir et blanc contribue à intemporaliser ce tableau de mœurs dont aucune fiction n’aurait pu atteindre l’intensité. Non seulement il gomme les signes extérieurs du quotidien, mais il implique de véritables tours de force, quand le cinéaste suit des hommes dans le bois de Boulogne se réchauffant autour d’un feu d’où s’échappent quelques étincelles.
Il colle ainsi au plus près de ces “invisibles” et s’insinue au cœur d’une intimité illusoire, tant ces êtres ont été dépossédés de tout, y compris de leur pudeur. On mesure la proximité exceptionnelle que Sylvain George est parvenu à établir avec ces parias de la société à la façon dont il filme leurs corps et leurs visages au point d’en arriver à se faire oublier, mais aussi les différends qui éclatent parfois, là où la solidarité devrait être leur protection la plus sûre contre une dégringolade irrémédiable et définitive.
Cette chronique du désespoir ordinaire n’est pourtant jamais ni voyeuriste ni complaisante. C’est un témoignage unique sur un monde parallèle, même s’il faut écarquiller les yeux pour le regarder en face. Dans cette nuit obscure, personne ne vous entend crier.
Jean-Philippe Guerand
Film documentaire français de Sylvain George (2025). 2h44.