Moi qui t’aimais

Il y a toujours un peu d’appréhension à voir des personnalités connues incarnées par des comédiens, le risque étant qu’une ressemblance trop lointaine entre les deux ne nous permette pas d’entrer facilement dans le film. Bien sûr le problème ne se pose pas concernant des figures historiques lointaines : on ne cherche pas à savoir qui d’Ingrid Bergman ou de Sandrine Bonnaire est la plus proche de la véritable Jeanne d’Arc, des photos de la pucelle d’Orléans n’étant pas disponibles. Les choses sont différentes quand le visage et la gestuelle des grands de ce monde sont imprimés sur la rétine de tous. François Mitterrand par exemple. Quand démarre Le Promeneur du Champ de Mars, on se dit que Michel Bouquet ne ressemble pas à feu le président. Et puis on pense à autre chose, Car Bouquet est un très grand comédien. C’est un peu la même chose avec Marina Foïs et Roschdy Zem, qui campent Simone Signoret et Yves Montand dans le dernier film de Diane Kurys. Qui démarre d’ailleurs dans une salle de maquillage où l’on voit les deux comédiens se préparer à tourner. Histoire de bien préciser qu’il s’agit d’une représentation.
Une représentation au demeurant réussie. Nous oublions presque que les personnages du film sont deux stars incontournables, deux mythes à leur manière. D’autant que Marina Foïs nous livre une prestation époustouflante. En réalité il y a deux films dans ce Moi qui t’aimais (le titre provient des Feuilles mortes, chanté par Montand sur un texte de Prévert). Le premier est celui de la reconstitution des dernières années du couple, une époque où se mélangent évidemment les moments intimes et les tournages de films dont nous avons le souvenir. On notera au passage que les carrières de Signoret et
Montand se sont croisées : la première a caracolé après-guerre pour voir son étoile pâlir peu à peu (les hommes et les femmes ne sont pas à égalité sur un écran pour tenter de faire oublier le temps qui passe) quand le second, après avoir fait preuve d’un talent modeste s’est peu à peu imposé comme l’un des comédiens les plus bankable de son temps. Un décalage artistique en écho à leur relation de couple. Une relation compliquée, c’est peu dire…
Et c’est dans cette autopsie d’un amour défaillant, comptant plus de déliés que de pleins, que se situe le second film. Une histoire d’amour chaotique, qui correspond à une époque révolue (à l’aune de #metoo, Montand prend cher), à l’ombre de Marilyn (Signoret fait mine d’avoir pardonné la liaison de Montand avec la star pendant le tournage du Milliardaire, mais personne n’y croit) … Mais le film de Diane Kurys est de fait beaucoup plus général. Son œuvre parle pour elle : rien de l’a davantage inspirée que les amours qui se plantent. A commencer par l’histoire de ses parents (le sublime Coup de foudre) ou ses propres remous personnels (Après l’amour), jusqu’à la passion déchirante de Musset et George Sand (Les Enfants du siècle). Moi qui t’aimais ne fait donc pas tâche, qui poursuit sa réflexion à la fois exaltée et déprimante sur ce qui nous lie à la vie à la mort. Le tournage est terminé (puisque le film sort), mais il n’a pas fini de tourner dans nos têtes…
Yves Alion
Film français de Diane Kurys (2025), avec Marina Foïs, Roschdy Zem, Thierry de
Peretti. 1h58.