Deux procureurs

Pour son retour à la fiction, Sergueï Loznitsa plonge le spectateur dans la réalité étouffante du totalitarisme stalinien de la fin des années 30 en adaptant une nouvelle de Georgy Demidov, un physicien soviétique qui passa lui-même 14 années au Goulag.
Le destin du jeune procureur Alexander Kornev – qui court littéralement à sa perte par soif de justice – est scellé d’avance. Dès lors qu’il entre dans la prison de Briansk, petite silhouette sombre dans un univers uniformément gris, dans le but de mener une enquête sur les abus dont aurait été victime l’un des prisonniers, on sait qu’il ne tardera pas à rejoindre la masse des détenus. Ce n’est donc pas tant le récit en lui-même qui s’avère passionnant que la mise au jour des rouages de la toute-puissance d’un pouvoir paranoïaque qui ne souffre aucune contradiction mais s’empêtre dans ses propres exigences.
À l’aune de notre époque, et des différentes dérives pré-totalitaires qui y sont à l’œuvre, le film semble parfois osciller entre le pamphlet politique et la prémonition tragique. Dans la première partie du film, la mise en scène, qui nous emporte dans un dédale tourbillonnant de portes, grilles, serrures, couloirs et escaliers, apporte une rigidité asphyxiante à la démonstration virtuose de l’ineptie de la bureaucratie soviétique.
Dans la seconde, lorsque Kornev se rend à Moscou pour plaider sa cause, la sensation d’étouffement laisse place à une tonalité presque burlesque, qui flirte avec le conte, la parabole, et même parfois implacable, que ni le ridicule, ni la veulerie n’empêchent de semer la terreur. Comme une mise en garde, glaçante, que le pire avance toujours masqué.
Marie-Pauline Mollaret
Zwei Staatsanwälte. Film franco-allemand de Sergueï Loznitsa (2025). Avec Alexandre Kouznetsov, Alexandre Filippenko, Anatoli Bely, Andris Keišs, Vytautas Kaniušonis. 1h57.